Risque de l'autre
par Xavier Emmanuelli
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Risque de l’autre, par Xavier Emmanuelli.
« Le plus beau risque dans la vie c’est de risquer sa vie, c’est évident. »
Témoignage Risque de Chance, les 04/01/2017 et 09/04/2019 au SAMU social à Paris, de Xavier Emmanuelli, médecin fondateur de Médecins sans Frontières et du SAMU social. Conclusion par le Docteur Suzanne Tartière, médecin urgentiste du SAMU de Paris, ancienne directrice médicale du SAMU social, auteur de En cas d’urgence faites le 15.
Cher Xavier, baigné par la Corse résistante de tes parents, peux-tu me dire, s’il te plaît, quel est le plus beau risque dans la vie ?
Il est difficile de choisir le plus beau, car cela dépend des circonstances et de l’âge. Je n’aurais pas répondu la même chose à 30 ans que maintenant où j’en ai 80. Mon plus beau risque, bien entendu, est l’aventure de Médecins Sans Frontières. C’était l’époque de l’initiation, le moment où j’ai franchi le pas. Je quittais le paysage familier des miens qui m’aimaient, mon environnement à la fac et mes camarades, pour entrer dans un univers de précarité et d’inconnu, où les risques sont à la fois réels et fantasmés. J’entreprenais un saut dans l’inconnu, mais en même temps j’étais extrêmement excité. Je prenais l’un des plus beaux risques qui soient. Le vrai risque, c’est de te lancer dans une histoire où il n’y a pas de précédent. C’est ce qui s’est passé pour le SAMU social, par exemple. Tout était prêt. Il ne manquait pas un trombone – « pas un bouton de guêtre », disait le ministre de la Guerre en 1870. Et puis un jour, le 23 novembre 1993, Chirac m’a dit : « Toubib, c’est pour ce soir. » C’était un saut dans l’inconnu, car il avait invité toutes les télés, toutes les radios au dispensaire de la rue René Coty : On attendait le premier appel pour lancer la première équipe. C’était un type de risque que Chirac savait prendre, j’étais bien obligé de suivre. Bien entendu je ne me sentais pas prêt, mais bien entendu aussi, il fallait se lâcher, car nous étions arrivés au jour J. C’était un beau risque, la suite l’a prouvé, puisque le SAMU social est devenu une institution.
Chaque fois que tu es plongé dans l’inconnu, que tu ne peux pas trouver de précédent, tu es au bord de la crise, car tu es dans le grand bain. Il faut savoir que c’est le moment du risque, parce que tu ne peux pas plonger en t’agrippant au bord. Je pense à un auteur que plus grand monde ne lit, mais qui a eu son heure de célébrité, Arthur Koestler. Dans Croisade sans croix, son héros ne cesse de dire, comme un mot fétiche : « Après tout, pourquoi pas ? » Autrement dit : coupons les ponts, on verra bien. J’ai accumulé de beaux risques, mais différents selon les époques de ma vie et je ne le regrette pas. Les anciens parlaient d’un petit dieu de la baraka, Kairos, dieu de la chance et du temps. Il était chauve, à part une mèche au-dessus du front. Il fallait le reconnaître très vite quand il passait, l’attraper au vol par sa mèche parce que tu n’avais pas de deuxième prise. Si tu ratais cette prise-là, derrière il n’y avait plus de cheveux pour s’accrocher au petit dieu. J’ai vu voleter le petit dieu Kairos autour de moi tout le long de ma vie. Quelquefois je n’ai pas su l’attraper ou pas su le reconnaître. C’est ça, la belle prise de risque, c’est d’identifier la chance quand elle passe et avoir l’audace de la saisir.
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Livre d'Or et trace magique
Sur un petit carnet d'or chaque témoin a laissé sa trace du jolie moment de vie partagé lors de l'entretien.
« A Cyril.
Mais non à Cyr-Igaël
Fraternellement »
Xavier Emmanuelli